Le Forum de la société civile de Bruxelles
7 – 9 juillet 2021, en ligne
Note conceptuelle
Développement économique et dialogue social
- Le contexte régional
Le 9 février 2021, la Commission européenne et le haut représentant ont adopté une communication conjointe intitulée « un nouvel agenda pour la Méditerranée ». Cette communication sur le renouvellement du partenariat marque le 25ième anniversaire de la Déclaration de Barcelone et de l’engagement des partenaires des deux rives de la Méditerranée à créer un espace de dialogue, d’échanges et de coopération, qui garantisse la paix, la stabilité et la prospérité. Elle reconnaît l’interdépendance des peuples et la nécessité de travailler dans un esprit partenarial, afin de transformer les défis en opportunités, dans un intérêt mutuel. Cinq domaines politiques, dont le renforcement de la résilience et le développement de la prospérité, sont mis au premier plan dans cette communication. Les défis socio-économiques auxquels sont confrontés les partenaires du sud y sont également reconnus, et l’UE y répond en proposant un « plan économique et d’investissement pour ses voisins méridionaux » pour soutenir une relance sur le long terme et le développement d’économies résilientes, durables et connectées dans la région.
Il y a longtemps que les habitant·e·s de la région réclament la résolution des problèmes structurels et systémiques. Les soulèvements populaires ont souligné la nécessité de revoir les politiques socio-économiques et de traiter les inégalités de toutes sortes, la discrimination à l’encontre des femmes et des groupes vulnérables et le manque de réponses aux besoins primaires. Par ailleurs, la pandémie de COVID-19 a accru les inégalités économiques, sociales, environnementales et en matière de santé. Elle a également montré l’incapacité des gouvernements à répondre à ces défis. Le fait que le modèle de développement de la région soit basé sur la croissance économique et les investissements étrangers sans justice sociale est un des défis structurels qui entrave l’évolution de la région. Les pays de la région dépendent d’économies non productives auxquelles manquent des mécanismes de redistribution des richesses et de protection sociale. D’autre part, ils sont lourdement dépendants des financements extérieurs et de la dette. Ces choix de politiques économiques, vieux de plusieurs décennies, ont été encouragés par les institutions financières internationales et ont effectivement fait la preuve de leur incapacité à permettre un développement juste et durable.
Dans ce contexte, les politiques économiques mises en œuvre dans les pays partenaires en matière commerciale, d’investissements et de stratégies de privatisation doivent être revues afin de prendre en considération les besoins de développement durable locaux, selon une approche basée sur le droit. Les capacités de production des pays partenaires du sud devraient être augmentées ; en parallèle, les initiatives pour sortir d’une économie de rente et aller vers des économies nationales diversifiées et productives devraient être encouragées. A cet égard, les politiques commerciales et d’investissement de l’Union européenne jouent un rôle essentiel, l’UE étant un partenaire commercial clef pour la plupart des pays de la région.
Le quatrième rapport annuel sur la mise en œuvre des accords commerciaux de l’Union européenne[1] publié fin novembre 2020 a montré que, tandis que les partenaires de la région Méditerranéenne et du Moyen-Orient ne représentent que 4% du commerce extérieur de l’UE, la région constitue un marché d’exportation très important pour l’UE. Celui-ci offre en particulier des opportunités à des PME de la région, dans certains secteurs traditionnels, tels que le textile et la céramique. Mais la région demeure un gros importateur de biens, notamment dans les secteurs de l’énergie et de l’agroalimentaire, et des critiques de longue date, notamment par la société civile, ont été exprimées à l’encontre des politiques commerciales de l’UE dans la région, notamment en matière de développement durable. A cet égard, les mécanismes actuels mis en place par l’UE pour évaluer les impacts des accords commerciaux sont jugés limités, tel que l’illustre la dernière évaluation ex-post de l’impact des volets commerciaux des accords euro-méditerranéens d’association avec les six partenaires suivants : Algérie, Egypte, Jordanie, Liban, Maroc et Tunisie[2]. Les évaluations ex-ante et ex-post constituent des exercices essentiels mais en l’espèce, l’examen était basé sur un modèle EGC contestable, établi selon une approche libérale du développement tiré par la croissance, ce qui rend les conclusions positives obtenues problématiques. Avec seulement 44% de la population en situation d’emploi et un taux de pauvreté atteignant 41%, le tableau sur le terrain est sombre et les gains tirés de ce développement semblent limités.
C’est pourquoi les inquiétudes de la société civile au sujet des accords de libre-échange approfondis et complets devraient être entendues, en particulier s’agissant de la valeur ajoutée des accords à encourager des échanges commerciaux orientés vers le développement dans ces pays. Il faudrait également garantir la prise en compte des droits humains dans la formulation, la négociation et la mise en œuvre de ces politiques. Ceci requiert la transparence des négociations commerciales ainsi que le déploiement de processus participatifs et démocratiques, impliquant toutes les catégories de population d’une manière appropriée et au moment opportun. Il existe des dispositifs européens permettant de mobiliser la société civile, tels que les dialogues avec la société civile ou les ateliers et rencontres organisés par les délégations de l’UE. Cependant, ceux-ci présentent des limites. Un dialogue structuré impliquant l’Union européenne, les pays partenaires, les OSC et les syndicats apparaît donc nécessaire.
- Les activités et recommandations de Majalat sur le développement économique et le dialogue social
Dans le cadre dédié au développement économique et au dialogue social (ECOSOC), Majalat a organisé une série d’événements en ligne consacrés au développement des capacités et à des débats. Leur but était de développer les connaissances sur les politiques et les mécanismes de l’UE et de discuter les principales préoccupations de la société civile ainsi que d’élaborer des recommandations. Ces activités ont contribué à développer les compétences et à faire de la sensibilisation parmi les groupes de la société civile de la région. Les résultats qu’elles ont produits seront relayés dans les pays, dans le cadre des tables rondes nationales organisées avec les responsables de l’UE.
Durant ces activités, les discussions se sont concentrées sur des préoccupations clefs telles que les effets du COVID-19, le rétrécissement de l’espace civique ainsi que les impacts des politiques commerciales et d’investissement de l’UE en termes de développement durable. Selon les représentants de la société civile, le COVID-19 a révélé de manière claire que le voisinage régional serait exposé à des impacts plus sévères, en raison des facteurs suivants : une protection sociale universelle défaillante, l’absence de politiques de redistribution justes et équitables combinée avec un mauvais usage des ressources et la réduction des dépenses sociales, un fort taux de pauvreté et de travail informel, ainsi que des atteintes à des droits fondamentaux, tels que l’éducation et la santé, par défaut d’accessibilité et d’abordabilité. Par conséquent, les effets négatifs du COVID-19 vont créer de grandes difficultés dans un des domaines prioritaires de la politique de l’UE dans la région, à savoir le développement économique comme vecteur de stabilité et d’une prospérité partagée.
Ces activités ont ainsi fait émerger plusieurs recommandations appelant l’UE et les pays partenaires à faire de la relance post-COVID-19 une opportunité pour promouvoir une transition juste vers des économies durables dans le voisinage sud. Dans le cadre de sa politique de développement de la résilience et de soutien à la relance post-COVID-19, l’Union européenne a été appelée à assurer des investissements durables et de long terme pour renforcer les systèmes de santé dans le cadre de la reprise et pour garantir le droit à la santé pour tous, sans discrimination. Elle a également été invitée à promouvoir la protection sociale universelle en aidant les pays partenaires à adopter des dispositifs adaptés à leurs ressources.
Par ailleurs, la société civile n’ayant aucun rôle approprié à jouer dans les politiques commerciales et d’investissement, l’Union européenne a été invitée à créer un dialogue officiel et structuré avec la société civile sur les questions commerciales, ce qui a permis d’ouvrir un espace au sein duquel la société civile du sud peut partager ses préoccupations et ses priorités. Ceci constitue une avancée cruciale dans la mesure où les dialogues avec la société civile de la DG Trade ne sont ouverts qu’à la société civile européenne. En lien avec la nouvelle communication sur la région et la possible révision du plan d’action de la PEV, il a été demandé que le Green Deal de l’Union européenne soit traduit dans les programmations au niveau national. En la matière, l’accent a été en particulier mis sur le fait d’aller au-delà des indicateurs de croissance et de PIB dans le suivi de la contribution au développement économique, pour également évaluer la portée et l’impact de cette contribution sur le climat, l’énergie, les transports, l’agriculture, la biodiversité et les politiques industrielles.
- L’étude régionale sur la politique commerciale et d’investissement de l’UE
A partir de ces éléments, et afin d’approfondir la réflexion sur les impacts potentiels des politiques commerciales et d’investissement de l’UE sur le nouvel agenda pour la Méditerranée - question qui préoccupe la société civile, le Arab NGO Network for Development a commandité, au nom de Majalat, une recherche régionale pour explorer les politiques commerciales et d’investissement de l’UE.
La recherche s’est concentrée sur l’approche qu’a l’UE des politiques de développement économique, de commerce et d’investissement, dans le cadre du nouvel agenda. Elle a examiné si la résilience économique et les concepts de transition verte et numérique développés par l’UE répondaient à la transformation économique et sociale demandée par les populations des pays partenaires du sud. Par ailleurs, le document apporte des éléments sur les enseignements tirés des accords de libre-échange et des négociations des accords de libre-échange approfondis et complets.
Enfin, la recherche traite des besoins socio-économiques des pays partenaires du sud, à la lumière de la pandémie de COVID-19, et dans l’optique d’opérer des transformations profondes vers un développement durable au travers du partenariat avec l’UE.
La rencontre du dialogue national organisée par ANND offrira un espace pour présenter les conclusions de cette recherche et ouvrira un espace d’échange entre la société civile et les responsables de l’UE sur le développement économique et le dialogue social.