MAJALAT :
Le Forum de la société civile de Bruxelles
7 – 9 Juillet 2021, en ligne
Note conceptuelle : la justice climatique
- Contexte
Le changement climatique constitue une menace mondiale pour notre survie qui affecte toutes les facettes de la vie et de l’économie. Celle-ci est particulièrement forte dans le sud de la Méditerranée, une région durement touchée par des problèmes économiques structurels anciens, des sécheresses et des crises sanitaires. Les problèmes existants ont été exacerbés par la pandémie de COVID-19 qui a frappé le monde en 2020 et dont les impacts continuent de se faire sentir en 2021.
La pandémie a amplifié les effets de plusieurs décennies de laxisme dans la gestion économique et du changement climatique. Les effets combinés des crises économique, sanitaire et climatique ont eu un impact désastreux sur les personnes et les entreprises, dont les populations pauvres et vulnérables sont les premières victimes.
Enfin, l’absence de politiques et de mesures pour indemniser les personnes et atténuer les effets du changement climatique ont conduit à un point de rupture des populations entières, qui souffraient déjà de la hausse des températures, du manque d'eau et de la désertification croissante.
Le réchauffement climatique va continuer à ébranler le monde et la région, menaçant la disponibilité de l'eau, la sécurité alimentaire, la santé et la sécurité des personnes. Certaines personnes, et en particulier les femmes vivant en milieu rural, souvent exclues des processus de décisions sur l'accès et l'utilisation des terres et des ressources, risquent de perdre tout moyen de subsistance. Il est désormais urgent d'adopter des politiques ambitieuses et de prendre des mesures concrètes pour défendre la justice sociale et climatique dans la région.
Les leaders mondiaux, rassemblés à Katowice en Pologne en 2018, dans le cadre de la COP 24, ont adopté un manuel d'application qui est en cohérence avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique un 1.5°C, tel que prévu dans l'Accord de Paris ; mais ils n’ont pas réussi à impulser une transition juste et inclusive. Des représentants de la société civile ont été exclus, dès le stade des négociations, de la COP 25 de Madrid, en Espagne, en 2019. Initialement programmée en 2020, la COP 26 aura lieu à Glasgow en novembre 2021. L'espace qui sera accordé dans les débats aux questions de justice sociale et climatique et au rôle des organisations de la société civile dans la lutte contre le changement climatique est à ce jour incertain.
Avec la fin de la crise du COVID-19 qui se profile, et les impératifs de relance sociale et économique, il sera fondamental de s'assurer que les économies « reconstruiront en mieux » et « ne laisseront personne de côté ». La reprise économique se doit d'être inclusive et soutenable sur le plan environnemental afin d'accompagner la transition vers une économie faible en carbone dans le sud de la Méditerranée. Quelles leçons pouvons-nous donc tirer de la crise du COVID-19 en matière de gestion du changement climatique ? Est-ce que le Green Deal et l'Accord de Paris constituent véritablement une voie vers la résilience économique et une relance verte dans le sud de la Méditerranée ? Comment est-ce que l'UE peut garantir que la société civile sera associée aux discussions et que ses capacités à promouvoir une reprise verte et une transition juste dans la région seront mises à profit ?
- Les recommandations et priorités de développement de MAJALAT
Au cours des trois dernières années, MAJALAT a organisé un ensemble de réunions, de consultations et de webinaires sur la justice climatique et sociale et sur les politiques climatiques de l'UE dans la région. On retiendra notamment un débat de haut niveau, mené dans le cadre du Forum de la société civile de 2019, au cours duquel les participants ont exprimé leurs préoccupations quant aux conséquences du manque d’action de Europe et des pays du sud de la Méditerranée sur les enjeux climatiques. Les enseignements et conclusions de cet événement, ainsi que d'une série de webinaires organisés sur le sujet en juin et juillet 2020, ont mis en lumière la nécessité de traiter conjointement la justice climatique et la justice sociale, en les inscrivant dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement et de l’Agenda 2030. Les inégalités, la nécessité de combattre les injustices sociales, l'accès à une énergie propre, la lutte contre la pauvreté, et l'égalité des genres doivent être pris en considération dans l'action pour l'environnement et dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Les discussions et recommandations issues des webinaires ont tourné autour des sujets suivants :
- Sensibiliser les décideurs, le secteur privé, les syndicats et le grand public à l'urgence climatique et à l'importance du développement de modèles économiques et sociaux résilients ;
- Créer des emplois verts, par exemple dans la gestion de l'eau et des déchets, la biodiversité, etc.
- Équilibrer les investissements entre les projets locaux de petite et de grande taille qui sont localement viables pour lutter contre le changement climatique ;
- Améliorer l'accès aux services sociaux, et en particulier pour les femmes, l'accès à la sécurité sociale et l'accès aux prestations de santé.
- Protéger les populations indigènes, les militants écologistes et les personnes dénonçant des attaques et des discriminations, et assurer leur protection et leur droit de défendre l'environnement. Une attention particulière devrait être accordée à la situation des Palestiniens vivant sous l'occupation illégale d'Israël.
- Impliquer les OSC dans les politiques et les programmes sur le climat et dans l'adoption de mesures garantissant que les financements alloués au voisinage sud contribuent à la justice climatique et que la société civile peut en bénéficier.
Les principales questions suivantes ont émergé du débat :
- Quelles mesures l'UE a-t-elle prises pour diffuser l'esprit du Green Deal dans la région et impliquer les OSC ?
- Quels sont les différents outils de communication et de plaidoyer qui peuvent être utilisés afin de sensibiliser sur les effets négatifs du changement climatique, promouvoir des modèles économiques résilients et durables et contrer les fausses informations et le déni de changement climatique dans le débat public ?
- Quelles mesures peuvent être mises en place pour protéger les défenseurs des droits de l'environnement et pour faire respecter la justice climatique[1], notamment via le renforcement de la liberté d'association, de la liberté de manifestation, de la liberté d'expression et l'implication des OSC ?
Les recommandations suivantes ont émergé du Forum de la société civile de Bruxelles en 2019 :
- Dans le cadre du budget 2021- 2027 de l'UE et du futur NDICI, les décideurs devraient veiller à ce que : les financements prévus à la Rubrique 4 (action extérieure) représentent au moins 10% du budget global ; 50% des dépenses du NDICI soient dédiées au climat et à l’environnement ; l’égalité des genres soit un objectif dans 85% des programmes ; 20% de l’APD soit destiné au développement humain et à l’intégration sociale ;
- L’ensemble des objectifs définis dans le NDICI devraient être déclinés dans la programmation de la Commission européenne au niveau des pays et de la région. La programmation devrait, dans chaque pays, venir en soutien de la CDN, des Objectifs de développement durable et des Plans d’adaptation nationaux.
- L’UE devrait prendre fortement position dans les négociations de la CCNUCC en faveur d’objectifs de financement contre le réchauffement climatique ambitieux, lesquels devraient notamment viser l’adaptation des modalités financières basées sur un système de subventions. Elle devrait également adopter une définition du nouveau financement complémentaire destiné à la lutte contre le changement climatique positionnant celui-ci à plus 0.7% du RNB.
- Les priorités et le financement des acteurs locaux pour la lutte contre le changement climatique et de respect des ODD devraient se traduire dans les mécanismes de panachage de l’UE – le Fond européen pour le développement durable (FEDD), les garanties relatives à l’action extérieure et l’ensemble des institutions financières internationales et dédiées au développement.
- Le FEDD devrait soutenir la transition énergétique et les projets d’atténuation et d’adaptation aux effets du changement climatique. L’étude de l’environnement et l’évaluation des impacts doivent être développées. Les programmes et rapports sur les financements extérieurs de l’UE devraient montrer la prise en compte de ces enjeux prioritaires.
- Des objectifs de neutralité carbone devraient être intégrés dans les programmes régionaux, voire, si cela s’y prête, dans les programmes thématiques.
- Les BDM et les IFD devraient arrêter de manière urgente tout financement d’activités nuisibles à l’environnement. Les représentants de l’UE devraient s’employer à peser sur la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et sur les institutions financières avec lesquelles elle coopère, afin de stopper le financement des énergies fossiles.
- La Banque d’investissement européenne (BIE) et la BERD doivent prendre des mesures complémentaires pour s’assurer qu’une part croissante de leurs financements est dédiée à l’action en faveur du climat, et notamment faire des provisions spéciales destinées aux initiatives communautaires et aux droits territoriaux. Ces deux institutions doivent développer des stratégies d’investissement compatibles avec l’objectif de limitation du réchauffement climatique à 1.5°C. Les banques devraient augmenter leurs cofinancements des fonds climat de la CCNUCC (FVC).
- Un mécanisme de diligence raisonnable doit être établi pour les entreprises au niveau européen afin de s’assurer que les compagnies remplissent leurs obligations en matière de respect des droits humains, du droit du travail, du droit de l’environnement et d’adaptation à l’Accord de Paris. L’Union européenne devrait également soutenir l’élaboration par les Nations Unies d’un traité contraignant les compagnies transnationales en matière de droits humains.
- Dans les régions tributaires des énergies fossiles, les financements européens peuvent permettre une juste transition en soutenant les efforts pour développer des plans de transition bas carbone. La BEI et la BERD devraient consacrer davantage de financements aux enjeux de justice climatique.
- Le plan d’action sur la finance durable de la Commission européenne comprend le développement d’une taxonomie pour labelliser les produits de financements « verts » afin de stimuler les investissements dans les projets et les entreprises respectueux de l’environnement. La taxonomie doit être améliorée et totalement exclure les énergies fossiles, telles que le gaz, de ce label « vert ». Les critères de durabilité doivent par ailleurs être définis plus rigoureusement.
- Les délégations européennes devraient régulièrement consulter et entrer en relations avec les acteurs de la société civile présents sur le terrain, les groupes de jeunes, les réseaux régionaux dont notamment les défenseur·euse·s d’une justice climatique. Ces consultations devraient être menées selon des orientations et des informations claires et être transparentes quant aux attentes et aux résultats; il conviendrait de fournir des informations régulières sur les opportunités et le processus, en s’appuyant sur le site de suivi de la programmation conjointe.
- Les feuilles de route des OSC devraient davantage intégrer les priorités en matière de justice sociale et climatique et favoriser la création de synergies avec les stratégies nationales en matière de droits humains, avec le Plan d’action genre et la Convention d’Aarhus.
- Le pacte climat proposé dans le cadre du Green Deal européen doit renforcer la dimension internationale de son organisation et favoriser la mise en place d’un comité intégrant des parties prenantes diverses, telles que la société civile du nord et du sud et des acteurs publics et privés de l’énergie, de l’environnement et du climat, dans le but de suivre les progrès en matière de justice climatique et sociale dans l’action extérieure de l’UE.
- L’UE devrait renforcer le soutien qu’elle accorde aux OSC travaillant sur le climat et l’environnement, au niveaux national et régional, dans le sud de la Méditerranée.
Trois sujets prioritaires sélectionnés feront l’objet de recherches complémentaires, dont certains recouvrent plusieurs des recommandations ci-dessus. Il s’agit :
- Des impacts de la crise climatique sur les habitants du sud de la région Méditerranée
- Des politiques existantes en matière de justice climatique et d’atténuation des effets du changement climatique, avec en toile de fond les engagements internationaux tels que l’Accord de Paris.
- Des investissements, dont ceux de l’UE (NDICI)
3. Résultats de la recherche :
L’étude a mis en exergue les tendances suivantes :
1. Les tendances climatiques au sein de la région du sud de la Méditerranée semblent indiquer une dégradation sévère en termes d’habitabilité de la région pour les années à venir, à tel point que la région figure dans la catégorie des régions non durables et fait l’objet d’une « haute surveillance » notamment sur la carte mondiale d’alerte climatique. Cela inclut une intensification et une augmentation de la durée des vagues de chaleur ainsi que des périodes de sécheresse sur des terres déjà arides, une augmentation de la fréquence des pluies torrentielles pouvant causer des inondations, une aggravation de la pollution de l’air et de l’eau, une diminution des forêts, une élévation du niveau de la mer, et enfin, une érosion de la biodiversité marine et terrestre.
2. La capacité d’adaptation des pays du sud de la Méditerranée est généralement moins importante que celle des pays du nord de la région. Ces pays sont donc particulièrement vulnérables à l’accélération de la désertification, l’aridité des sols, et l’épuisement des ressources en eau. En Afrique du Nord, une élévation du niveau de la mer d’un mètre pourrait affecter 37 millions de personnes (MedEEC, Risques liés aux changements climatiques et environnementaux dans la région méditerranéenne, 2019).
3. Les pays du sud de la Méditerranée sont majoritairement en dessous du seuil de sécurité de l’eau qui est de 1700 m3 par an et par habitant. Le changement climatique provoque un appauvrissement des ressources naturelles et économiques disponibles et contribue ainsi à l’intensification des tensions régionales, notamment autour de la question des frontières.
4. A l’exception de la Libye, tous les pays du sud de la Méditerranée ont présenté leurs Contributions Déterminées au Niveau National (NDCs) au Secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (UNFCCC). Afin d’atteindre les objectifs fixés, les pays ont également intégré les stratégies migratoires et d’adaptation dans les Plans Climat Nationaux. Ces stratégies recouvrent les domaines de l’énergie, la sylviculture, le logement, le transport, l’industrie, l’agriculture et la gestion des déchets.
5. Investissements dans la région :
- Pour promouvoir la mise en œuvre de l’Accord de Paris, l’UE a alloué un budget de 23.2 milliards d’euros en 2019 pour le combat contre le changement climatique dans les pays en développement, ce qui représente une augmentation de presque 7% comparé à 2018. L’UE est également l’un des plus importants pourvoyeurs d’assistance au développement (€75.2 milliards au total en 2019) qui intègre de plus en plus place à l’action sur le climat. Enfin, les fonds de l’Instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale ont relevé de 25% à 45% le budget réservé aux objectifs climatiques.
- L’Union pour la Méditerranée a, elle, lancé en Mars 2021 un fonds régional pour le financement de projets sur le climat dans le sud de la Méditerranée avec un montant de départ de 250 millions d’euros. Ce fonds sera alimenté par différentes sources notamment par des fonds d’investissement privé ainsi que par le Fonds Vert pour le Climat (FVC).
Cette publication a été réalisée avec le soutien financier de l'Union européenne. Le contenu de la publication relève de la seule responsabilité de Majalat et ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’Union européenne.
[1]. Dans le rapport intitulé « Défenseur·euse·s de la terre » publié le 13 juillet de cette année, Global Witness rapporte l’assassinat de 200 défenseur·euse·s de l’environnement dans le monde en 2016 et 197 en 2017: https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2019/06/why-we-need-to-stand-up-for-earth-defenders-this-world-environment-day/