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Bonne gouvernance et Etat de droit

MAJALAT :

Le Forum de la société civile de Bruxelles

7 – 9 juillet 2021, en ligne

Note conceptuelle : Gouvernance et Etat de droit  

                                                                                                                    

  1. Contexte

Les pays du voisinage sud font face à des défis majeurs pour parvenir à exercer une gouvernance saine et pour faire respecter la règle de droit, les libertés civiles, la liberté des médias et faire appliquer les principes de participation et de transparence. De ce fait, les gouvernements rendent peu de comptes et les services fournis par le secteur public ne satisfont pas les attentes de la société civile et des citoyen·ne·s. Une bonne gouvernance est pourtant essentielle à la région et aux relations entre l’UE et le voisinage sud. Améliorer la gouvernance nécessite une stratégie globale et de long terme, bâtie sur la coopération entre les institutions officielles et la société civile.

L’Etat de droit, la redevabilité et la transparence soulèvent des questions techniques et légales mais sont fondamentaux pour garantir la légitimité et l’efficacité de l’action gouvernementale ainsi que le soutien de celle-ci par les citoyens. L’implication de la société civile dans le suivi et l’évaluation des programmes de coopération a d’ailleurs été reconnue par l’UE comme étant essentielle à leur bonne mise en œuvre.

Deux sujets prioritaires ont émergé du contexte sud-méditerranéen concernant la gouvernance et l’Etat de droit : le rétrécissement de l’espace de la société civile et la lutte contre la corruption.

Le rétrécissement de l’espace de la société civile est une préoccupation dans l’ensemble de la région méditerranéenne, où la société civile est victime d’une répression constante, touchant les droits fondamentaux suivants : les libertés d'expression, d'association, de circulation, de participation à la vie politique et notamment les droits des personnes syndiquées ainsi que le droit de réunion pacifique, en ligne et en présentiel. Au cours des dernières années, la lutte contre le terrorisme a été le prétexte à une restriction drastique de la liberté d'association et d'expression. D'autres critères peuvent être également utilisés pour évaluer l'espace accordé à la société civile, tels que notamment l'accès aux financements, aux processus de décision, à l'information et à la liberté de circulation.

Les atteintes à ces droits restreignent l'espace de la société civile. Dans le sud, les violations commises par les gouvernements prennent notamment la forme de restrictions légales, de procès contre les OSC et les défenseur·euse·s des droits humains, de poursuites judiciaires, de harcèlements judiciaires, d'interdictions de voyage, de gel des avoirs, d’essor des GoNGO (ONG gouvernementales), d'articles ad hoc publiés pour saper la crédibilité des OSC, de pressions sur des journalistes indépendants, de campagnes de diffamation publique, d'infiltration, de restrictions des activités de militantisme.

La lutte contre la corruption est une autre priorité majeure liée à d’autres enjeux tels que la sécurité. Elle recouvre la lutte contre les ventes d'armes, les passeports dorés, le blanchiment d'argent, les domaines explorés par l’UE dans le cadre du contre-terrorisme et du contrôle migratoire, le développement des marchés publics, les investissements mixtes officiels de l’Europe et les partenariats public-privé soutenus par l’UE.   

La corruption politique demeure un défi central : de nouvelles formes de corruption sont institutionnalisées pour maintenir la classe politique au pouvoir, empêchant ainsi les citoyen·ne·s de les combattre. La corruption politique anéantit la volonté politique de traiter le problème, faisant ainsi obstacle à une véritable percée des efforts de lutte contre la corruption, malgré l'existence d’un arsenal juridique et d'instances anticorruption. En l'absence de volonté politique forte pour lutter contre la corruption dans le secteur public, les droits politiques des habitant·e·s de la région demeureront restreints. À cet égard, une analyse croisée avec des données sur les démocraties dans le monde, fournies par Transparency International, révèle un lien entre la corruption et la santé des démocraties : les résultats indiquent que les pays protégeant le moins la presse et la société civile tendent à avoir les plus forts taux de corruption.

D’autre part, la pandémie de COVID fait peser de nouvelles contraintes juridiques sur les OSC qui voient leurs marges de manœuvre pour travailler dans un environnement ouvert et favorable, menacées. Publier un rapport de référence périodique par pays sur ce sujet serait un moyen efficace pour sensibiliser les acteurs au niveau de l’UE ainsi que dans les pays de la région.

  1. Les activités et recommandations sur la gouvernance et l’Etat de droit de Majalat

Cette note conceptuelle sur la gouvernance et l'Etat de droit est le fruit de trois cycles annuels de réunions aux niveaux national, régional et européen organisés par MAJALAT. Les principales recommandations qui en sont issues ont été présentées au Forum de la société civile de Bruxelles en 2018 et 2019, l'édition 2020 ayant été repoussée en raison de la pandémie de COVID-19. Le cycle des ateliers nationaux a été transformé en une série de webinaires qui se sont tenus de mai à septembre 2020. L'objectif du premier cycle était de réfléchir aux impacts de la crise de COVID-19 sur la région euro-méditerranéenne et de réaliser un suivi des recommandations formulées lors du cycle d'activités de MAJALAT de 2019. Le deuxième cycle s'est concentré sur le développement des capacités afin d'approfondir la connaissance de la société civile sur les politiques de l’UE. La troisième série de webinaires a été organisée pour discuter les recommandations formulées par MAJALAT ainsi que l’impact de la crise sur ces enjeux, avec des représentants de l’UE.  

Le séminaire du voisinage sud, qui permet de discuter de ces politiques au niveau régional, s’est également tenu en ligne et a donné lieu à un rapport sur « les droits humains, la gouvernance, l’Etat de droit et l’espace de la société civile », basé sur plusieurs ateliers et activités en ligne qui se sont déroulés au cours de l’année 2020. Chaque recommandation a fait l’objet de discussions et a été enrichie par les participants et les membres de MAJALAT.

En mai 2021, MAJALAT a missionné six experts pour mener une recherche sur chacun des domaines thématiques du projet. Celle couvrant la “Gouvernance et l’Etat de droit” examine plusieurs questions clés, à la lumière du partenariat avec le voisinage méridional de l’UE, qui établit un nouvel agenda pour la Méditerranée, et de la pandémie de COVID-19 encore présente. La recherche a été présentée et discutée lors d'une table ronde à Tunis, à laquelle ont participé des représentants de la société civile, de l’UE ainsi que les autorités locales. Les recommandations issues de cette recherche ainsi que de la table ronde nationale seront présentées lors du Forum de la société civile.

  • Recommandations sur le rétrécissement de l’espace de la société civile

Voici les recommandations issues de la série de webinaires :  

  1. Réaliser un suivi des mesures prises par les gouvernements à l’égard des défenseur·euse·s des droits humains, des journalistes et des personnes critiquant le régime, pour mettre en lumière les abus de pouvoir potentiels ou avérés. 
  2. Il est demandé aux délégations de l’UE d’engager dès que possible des discussions avec des OSC légitimes afin de définir un mécanisme concret, adapté à chaque contexte national, pour identifier les GoNGO.
  3. L’UE doit renforcer ses efforts pour favoriser l’accès aux financements des OSC locales en Palestine et dans les camps de réfugiés palestiniens et syriens, où qu’ils se trouvent.  
  4. Le SEAE et les délégations européennes, la DG DEVCO et la DG NEAR devraient mettre à disposition de la société civile une information ciblée et utile sur le processus de programmation, de manière systématique et régulière.  
  5. Les droits humains, la participation de la société civile et les questions de genre devraient être de plus en plus pris en compte de manière transversale, dans l’ensemble des instruments et des thématiques prioritaires de l’UE identifiés dans le nouveau cadre financier pluriannuel. Par extension, les OSC devraient être capables d’effectuer un suivi des instruments et des politiques relatifs à la lutte contre le terrorisme, la sécurité et l’exportation d’armes dans le voisinage sud de la région, de manière régulière et transparente.  
  6. Majalat propose d’étudier la possibilité de mener un projet pilote d’évaluation par pays de la situation en matière de rétrécissement de l’espace, qui serait réalisé au cours de la prochaine phase de Majalat.   
  7. Majalat propose que l’UE envisage et évalue la faisabilité d’avoir recours aux cryptomonnaies dans les pays où l’accès aux financements des OSC locales est limité par des dispositions légales.  
  8. L’UE devrait appliquer les mêmes normes fiscales aux subventions destinées aux gouvernements et aux ONG en matière de TVA.
  9. L’UE est invitée à utiliser un éventail de sanctions progressif, commençant par une étape “moins pour moins” prévoyant de réduire de 10% l’enveloppe destinée à un pays, dans le but d’envoyer un signal politique aux autorités, avant d’activer de manière plus officielle la clause suspensive relative aux droits humains.

Les recommandations issues du séminaire politique du voisinage sud :  

  1. Concernant les enjeux de protection des défenseur·euse·s des droits humains et le rétrécissement de l’espace de la société civile, mieux informer et sensibiliser les décideurs et les médias européens sur les situations critiques auxquelles font face les défenseur·euse·s des droits humains, les opposant·e·s et les journalistes dans la région, ainsi que sur les atteintes au droit d’association et de rassemblement.
  2. Pour s’assurer de l’indépendance des acteurs de la société civile au niveau national, concernant les GoNGO, le moyen le plus simple de traiter cette situation pourrait consister à demander à chaque candidat à des financements européens de déclarer en ligne (via le système en ligne de contrôle d’admissibilité des candidats auprès de l’UE – PADOR) qu’il n’existe « aucun conflit d’intérêt entre la direction de l’association à but non lucratif et des dirigeants de partis politiques ou de compagnies ».

Voici les recommandations issues de la série de webinaires :  

  1. Exiger des processus de passation de marchés transparents.
  2. Introduire une procédure de suivi des financements issus de donations privées afin de tracer leur destination, leur usage et les critères de décisions. 
  3. Les institutions telles que le FMI, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ainsi que l’UE devraient encourager la transparence, la redevabilité et le respect de l’Etat de droit dans les programmes de secours d’urgence mis en place dans le cadre de la crise du coronavirus afin de s’assurer que les milliards de dollars qu’elles déboursent contribuent à aider les plus fragiles.
  4. S’intéresser davantage à la corruption dans le secteur militaire et de la défense. 
  5. Il est demandé à l’UE d’être plus proactive dans ses contrôles financiers et ses audits auprès des institutions publiques des pays partenaires qui orientent des financements en provenance de l’UE. 
  6. L’appui budgétaire est de plus en plus orienté vers des investissements mixtes. Tenant compte de cette évolution, Majalat appelle le SEAE et la DG NEAR à créer un espace permettant aux OSC de suivre ces nouveaux dispositifs et de saisir ces opportunités concrètes de prendre part à ces mécanismes, en tant qu’acteurs clefs de la justice sociale.
  7. L’UE devrait saisir l’opportunité des négociations en cours sur les instruments afin de renforcer l’application des outils de suivi des accords sur le voisinage sud, en portant une attention particulière à la bonne gouvernance des fonds européens et à la lutte contre la corruption.
  8. Il est demandé au Haut Représentant de l’UE d’inciter ses pairs du collège des commissaires à améliorer la bonne gouvernance et la transparence dans la publication des noms des citoyen·ne·s bénéficiaires de passeports dorés.   
  9. Le SEAE est invité à étendre le mécanisme de l’UE récemment mis en place à l’encontre des personnes coupables de violations des droits humains, aux individus fuyant leur pays pour corruption.   
  10. Le concours de la société civile est fondamental pour inciter les gouvernements à adopter des lois visant à protéger les lanceurs d’alerte.
  11. L’UE devrait apporter son soutien technique aux pays partenaires en matière de récupération de biens en s’appuyant sur une nouvelle initiative européenne visant à mobiliser les bonnes pratiques et normes existant au niveau international.  

Voici les recommandations issues du séminaire politique du voisinage sud :

  1. Le besoin est apparu de s’attaquer à certaines questions complexes et très pointues : les exportations d’armes, les passeports dorés, la récupération des biens, le blanchissement d’argent, les diverses initiatives prises par l’UE dans le cadre du contre-terrorisme et du contrôle migratoire, les marchés publics via le concours des budgets d’aide, les investissements mixtes officiels de l’Europe et les partenariats public-privé soutenus par l’UE.  

  1. Conclusions et résultats de la recherche thématique

Suivant une recommandation formulée durant la série de webinaires et le séminaire sud en 2020, il a été décidé de réaliser une recherche sur la situation dans chaque pays en matière de rétrécissement de l’espace et de lutte contre la corruption. Ces sujets ont été choisis car ils sont centraux dans le cadre de cette thématique.  Il a par ailleurs été choisi de mettre particulièrement l’accent sur les organisations de la société civile qui défendent les droits humains. Le besoin de créer des espaces sûrs pour ces organisations apparaît comme étant extrêmement important, quand on examine la question du rétrécissement de l’espace de la société civile. Cette étude a également consisté à analyser l’impact du nouveau partenariat de l’UE avec son voisinage sud, sur les droits humains dans la région. Elle a par ailleurs pris en compte l’impact du virus COVID-19.  

Les gouvernements employant déjà des méthodes autoritaires ont saisi l’opportunité du COVID-19 pour contraindre et réprimer davantage la société civile – tendance observée dans l’ensemble de la région. La liberté d’association et de réunion relevait déjà du défi dans des pays tels que l’Egypte ; le COVID-19 a fourni un prétexte aux gouvernements pour accentuer la répression sur ces libertés, réduisant ainsi encore l’espace de la société civile. La lutte contre la corruption ressort ainsi comme une priorité claire dans la région. En août 2020, le Liban nous a donné le spectacle des conséquences les plus dévastatrices que peut avoir la corruption gouvernementale, avec l’explosion d’une des plus grosses bombes de nitrate dans le port. Près d’un an après, les responsabilités de ce crime n’ont pas encore été établies.  

Bien entendu, les situations nationales varient, et donc le rôle des représentations de l’UE dans chacun de ces pays. Il n’est en effet pas possible d’aborder de la même manière des pays actuellement en situation de guerre civile, tels que la Syrie et la Libye, et des pays attendant une redéfinition de leur territoire (Palestine et Israël) ou dont la société fait face au dilemme de la modernité et du conservatisme (Maroc, Tunisie et Jordanie) ; ou un pays tel que le Liban, où, comme évoqué, une corruption institutionnelle chronique invalide tout projet démocratique, tandis que l’armée exerce une contrôle autoritaire sur la paix sociale en Algérie, comme le font les Frères musulmans en Egypte.  

Cependant, l’UE dispose du droit légitime de définir les conditions minimales auxquelles doivent répondre ses partenaires pour bénéficier de son aide au développement. Il convient de noter que pendant des décennies, la coopération internationale – et pas uniquement celle organisée par l’UE – a sciemment ignoré ou amoindri l’impact profond de la corruption sur l’efficacité et l’efficience de son soutien technique et financier. De ce point de vue, le fait que MAJALAT mette l’accent dans ses recommandations (premier webinaire de 2020) sur les conditions d’attribution des aides, en les basant sur des exigences de transparence et d’appui à la lutte contre la corruption, et le fait que l’UE mette au premier plan, dans ses dernières communications sur le sujet (février 2020), la redevabilité et la transparence de l’administration étatique et des systèmes judiciaires, sont des avancées dans la bonne direction.

Le nouveau partenariat entre l’UE et la région porte l’objectif et l’espoir de contrer ces tendances et de contribuer à une saine gouvernance et au développement de l’Etat de droit dans ces pays. Par ailleurs, il est préconisé de mettre la défense des droits des femmes au cœur de ce combat et de trouver des moyens de poursuivre l’harmonisation du dialogue entre l’UE et MAJALAT. Les dernières recommandations portent enfin sur le fait de concentrer le travail de MAJALAT sur les conditions d’attribution des subventions de l’aide au développement, qui doivent prendre en compte le respect des droits humains et des organisations des droits humains par les gouvernements nationaux ; et sur le fait de garantir que des mesures coercitives soient prises en cas de corruption politique ou financière.