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Migration et mobilité

MAJALAT :

Le Forum de la société civile de Bruxelles

7 – 9 juillet 2021, en ligne

Note conceptuelle : Migration

  1. Contexte

Le processus soutenu MAJALAT de dialogue sur la migration et la mobilité entre la société civile du voisinage sud et l’UE, a été développé dans un contexte évolutif marqué par l’externalisation par l’UE de sa gestion migratoire à des pays voisins, d’une part, et par la nécessité d’intégrer dans les débats sur cette question les défis posées par la pandémie internationale.  

En 2020, l’UE a débloqué des financements exceptionnels pour soutenir le voisinage sud (2,2 milliards d’euros) et a mobilisé plusieurs fonds fiduciaires pour répondre à l’urgence sanitaire. En parallèle, les politiques migratoires de l’UE ont évolué dans le cadre du Pacte européen. Celui a été établi selon une programmation et un calendrier de moyen et de long terme et a un impact direct sur la politique de voisinage de l’UE. Ceci témoigne clairement du besoin d’engager une discussion sur la situation sanitaire globale et sur son impact sur les migrations et les déplacements des personnes (1) et sur l’évolution structurelle des politiques européennes en matière de migration et de mobilité, au niveau mondial et régional (2).

On peut tout d’abord observer de manière générale que la pandémie et les mesures de contrôle sanitaire (confinements, couvre-feux, etc.) ont clairement exacerbé certaines situations de marginalisation dangereuses, telles que le manque de respect des droits élémentaires et des discriminations à l’encontre des populations les plus vulnérables, en particulier des personnes migrantes et des demandeur·euse·s d’asile. Ces tendances ont mis en évidence des problèmes structurels liés à la mise en œuvre des politiques de gestion de la migration et des déplacements par l’UE, ses Etats membres et les pays « partenaires ».   

Nous avons donc dû relever le défi de formuler des recommandations, tenant compte à la fois de l’état d’urgence exceptionnel temporaire et du contexte structurel. Ceci requiert une analyse organique générale et des adaptations significatives afin de dépasser le cadre des OSC et les politiques actuels.

  1. Les priorités du thème Migration et les recommandations pour les futurs développements

En mai 2020, le projet MAJALAT a lancé une série de trois webinaires afin de réaliser un suivi des recommandations formulées l’année précédente, réfléchir sur les impacts de la crise du COVID-19 dans la région euro-méditerranéenne et renforcer la résilience et le développement des capacités dans la région. De ces webinaires sont ressorties les recommandations suivantes :  

  1. Lancer des campagnes pour informer les personnes migrantes de leurs droits en matière de santé, dans le contexte de la crise.
  2. Fournir les équipements nécessaires aux enfants migrants afin qu’ils puissent bénéficier de la scolarité à domicile proposée dans les pays européens.   
  3. Conditionner l’aide financière fournie aux pays du voisinage sud lors de la pandémie au respect des droits humains des personnes réfugiées et des demandeur·euse·s d’asile.
  4. Appliquer les directives du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières et ratifier la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (CRMW).
  5. Réviser le Pacte mondial sur la migration (Pacte de Marrakech), là où celui-ci représente un recul par rapport aux dispositions de la CRMW de 1990 des Nations Unies.  
  6. Créer des mécanismes au niveau de l’UE afin de contrôler et de protéger les travailleur·euse·s saisonnier·ière·s en Europe et dans la région.
  7. Accéder aux conventions de l’Organisation mondiale du travail (OMS), et en particulier à la convention de l’OMS n°143 sur les droits des travailleur·euse·s migrant·e·s.  Examiner les engagements de l’UE dans les conventions de protection du climat et dans leur application.
  8. Impliquer la société civile dans les discussions bilatérales.
  9. Encourager les Etats membres à faciliter les procédures de régularisation des demandeur·euse·s d’asile afin que ceux·celles-ci puissent obtenir un permis de travail et cessent de travailler dans le secteur informel.  
  10. Apporter des financements afin d’entretenir les camps d’accueil de réfugié·e·s, y améliorer la santé et y éviter la surpopulation.
  11. Encourager les Etats membres à intensifier leur combat contre les campagnes de « fake news » et de désinformation accusant les migrant·e·s de diffuser le virus.
  12. Soutenir les programmes de coopération travaillant sur : a) les médias communautaires alternatifs et traditionnels dans le sud et en Europe afin de changer leurs perceptions de la migration.  b) des programmes culturels faisant la promotion de la mobilité des jeunes, des artistes et autres catégories de population.
  13. Relancer le dialogue tripartite d’EuroMed entre l’Union européenne, les gouvernements du voisinage sud et la société civile indépendante de la région.
  14. Le SEAE et plus largement les instances telles que le Parlement européen doivent inciter les Etats membres à dépénaliser la solidarité et le sauvetage des migrant·e·s.
  15. Mettre en place un fonds fiduciaire destiné à la protection des migrant·e·s et des personnes déplacées disposant de moyens d’action rapides, intégrés, flexibles et travaillant à court terme. 
  16. Développer des programmes facilitant la mobilité des jeunes dans le voisinage sud, notamment parmi les catégories de population défavorisées en matière d’éducation, et intégrant des programmes de développement des capacités.
  17. Lancer un débat sur le rôle que l’UE pourrait jouer afin de simplifier les procédures de visa des Etats membres, par exemple en créant un cadre légal de collaboration avec des entreprises de traitement de visas.

Ces recommandations ont été à nouveau formulées et consolidées lors du séminaire suivant sur la politique du voisinage sud, qui a également appelé à la création d’un observatoire régional des politiques migratoires pour augmenter l’aide d’urgence aux pays de la région dans le contexte de la crise sanitaire et pour faciliter les procédures de visa dans les Etats membres.   

  1. Conclusions et résultats de la recherche thématique

Tandis que la situation en matière de migration et de mobilité est extrêmement variable d’un pays à l’autre de la région, il est important de souligner que l’accès aux droits fondamentaux pour les étranger·ère·s, et en particuliers pour les travailleur·euse·s migrant·e·s, sont restreints de manière très préoccupante. C’était le cas avant et pendant la pandémie, et cela perdure dans la situation d’après COVID actuelle. S’agissant tout d’abord de la situation des travailleur·euse·s saisonnier·ère·s dans certains pays de la région, les questions d’accès aux droits sont devenues véritablement préoccupantes, en particulier pour les travailleur·euse·s migrant·e·s sans papier. En la matière, un renforcement des normes légales, notamment de l’OIT, demeure important ; mais le suivi des violations de droits et le renforcement des organisations permettant aux migrant·e·s de faire valoir leurs droits le sont encore davantage.  

Bien qu’un nombre important de pays du voisinage sud de la Méditerranée aient ratifié la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, contrairement aux Etats membres de l’UE, l’application de ces droits est parfois déficiente ou non-existante. D’où l’importance d’examiner les évolutions sur le terrain, une expertise relevant principalement des OSC. Voilà pourquoi la création de forums d’échanges tripartites et d’un comité de suivi des politiques migratoires seraient utiles pour améliorer l’impact des politiques migratoires.

La pandémie a principalement contribué à considérablement détériorer la situation économique des personnes, qui, pour la plupart, travaillaient dans des secteurs informels. Les aides d’urgence ont été distribuées aux populations migrantes via des fonds dédiés à l’action humanitaire et par des acteurs de la société civile. Les programme de soutien des gouvernements, par exemple en Tunisie et au Maroc, n’intégraient pas les populations étrangères ou en situation irrégulière. Parmi les mesures d’urgence prises par l’UE en réponse à la pandémie de coronavirus, un soutien d’un montant total de 966.6 millions d’euros a été apporté au secteur de la santé. Tandis que cette initiative va offrir un meilleur accès aux soins à de nombreux citoyens du voisinage sud, elle laisse de côté les populations migrantes les plus vulnérables, qui pourraient ne pas y être éligibles. Les programmes de vaccination devraient être ouverts à tous, sans conditions.  

Ceci met en lumière l’importance de la régularisation du séjour des migrant·e·s dans une situation d’urgence. Et même si certains pays de la région ont fait des efforts considérables en la matière, il serait utile de légiférer sur les façons de régulariser les séjours, que ce soit par le travail, la durée du séjour ou des critères de vulnérabilité.

 

Concernant les budgets alloués à la migration, les montants dépensés pour externaliser la gestion et le contrôle des frontières dépassent de loin les montants dédiés à l’intégration et à l’accès aux régimes de droits, ce qui est donne des indications claires sur les priorités de l’UE.

Dans le cadre de la mise en œuvre du Pacte de Marrakech, l’UE devrait travailler à la création de routes de migration sûres, notamment en créant des espaces de libre circulation avec les pays du voisinage sud ou bien en rendant les visas plus accessibles aux ressortissants de chaque pays. Ces mesures pourraient palier les effets négatifs des politiques trop restrictives, qui ont été rendus visibles lors des événements de Ceuta les 17 et 18 mai 2021. En ce sens, les programmes de soutien à la mobilité des jeunes, des professionnels, des artistes mais également des catégories de populations vulnérables et marginalisées devraient être renforcés et rendus accessibles à un plus large public.  

La question omniprésente de la recherche et du sauvetage en mer souligne l’obligation qui s’impose de la manière à plus pressante à l’UE, qui doit prendre des mesures appropriées dans les eaux de la Méditerranée et de l’Atlantique afin d’empêcher que des personnes soient portées disparues durant les traversées. Plusieurs de ces mesures ont été mises en lumière dans un récent rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme : mettre fin à la criminalisation des ONG de sauvetage en mer, créer une mission de recherche et de sauvetage de l’UE et mettre fin à la coopération avec les organisations étatiques qui ne représentent pas des refuges sûrs pour les migrant·e·s. Les récents événements sur la route des Iles Canaries mais également près de Chypre, entraînant des refoulements à la chaîne vers la Syrie, rendent encore plus amères ces conclusions sur la Méditerranée centrale.

Sur la base de ces observations, les politiques portant sur les camps et les centres sur les deux rives de la Méditerranée doivent être revues par le prisme des conditions de vie, lesquelles sont actuellement souvent inhumaines. L’UE devrait également tenir compte des effets croissants des politiques d’interception en mer près des côtes libyennes, sur les conditions de détention et les traitements inhumains dans les centres libyens.  

Dans une approche croisée, la prise en compte des facteurs climatiques dans les conventions et les normes internationales de ce domaine semble indispensable. Ces problématiques soulèvent toutes deux la question de la viabilité des politiques migratoires en Méditerranée, en termes d’accès aux droits pour les étranger·ère·s, en particulier pour les migrant·e·s. Elles appellent une politique migratoire porteuse d’une aspiration au respect des droits fondamentaux des migrant·e·s et qui prenne en compte les réalités du terrain.