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Sécurité et lutte contre les violences

MAJALAT:

Le Forum de la société civile de Bruxelles

7 – 9 juillet 2021, en ligne

Note conceptuelle : Sécurité

  1. Contexte

La sécurité est récemment devenue un thème prioritaire du dialogue structuré. En effet, ce sujet a pris de l’importance dans l’action extérieure de l’UE[1], et en particulier, dans sa politique de voisinage[2], suite à l’augmentation des violences et des extrémismes des deux côtés de la Méditerranée. Trois sous-thèmes qui revêtent un intérêt pour l’UE ont été identifiés : 1) la prévention et la lutte contre les violences extrémistes, 2) la sécurité numérique et 3) la dimension genre de la sécurité et les violences faites aux femmes.

L’implication d’experts issus de la société civile, du personnel en charge du projet et de représentants de l’UE a été encouragée au travers d’ateliers structurés en trois cycles visant les objectifs globaux suivants : réfléchir aux impacts de la crise du COVID-19 sur la région euro-méditerranéenne et réaliser un suivi des recommandations formulées durant le cycle d’activités de MAJALAT de 2019 ; développer les connaissances et la compréhension des participants issus de la société civile, des politiques de l’UE en la matière ; discuter des défis et opportunités sous cette thématique dans le contexte actuel et identifier les principales recommandations à formuler pour les politiques de l’UE et les organisations de la société civile.

Une série de webinaires a été organisée sur ce nouvel axe thématique de la “Sécurité”. Dans ce cadre, des discussions plénières et interactives ainsi que des temps de travail ont permis aux participants de partager des idées, des exemples ainsi que des questionnements. 

  1. Les résultats de Majalat sur le thème de la sécurité

La pandémie de COVID-19 a exacerbé les causes profondes de la violence dans la région Euro-Méditerranée. La mise en œuvre de lois d’exception par les Etats afin de gérer les effets de la pandémie a entraîné des restrictions des libertés de circulation, de la liberté d’expression et l’augmentation des violences policières et de la surveillance numérique. Des organisations de la société civile, des quartiers et des individus ont dû se mobiliser pour assurer des prestations élémentaires tels que l’alimentation et le logement.

En semant la peur et en offrant des prétextes à la répression, la pandémie a fait le lit des violences extrémistes. Dans le même temps, les mesures d’état d’urgence et de sécurité ont conduit à des dispositifs de confinement drastiques, enfermant les habitants et leurs frustrations chez eux. Ces situations ont entraîné une augmentation du niveau de violence sexiste et de maltraitance. La pandémie et les réponses organisées par les Etats ont manifestement contribué à davantage assoir les inégalités, l’impunité et la maltraitance, ce qui pourrait détériorer sur le long terme le niveau de sécurité dans la région euro-méditerranéenne.

En exacerbant les dynamiques de pouvoir et de contrôle, la crise a offert le prétexte aux personnalités et aux institutions oppressives d’user et d’abuser de leurs pouvoirs, notamment économiques et politiques. L’assurance maladie et la protection sociale universelles pour les femmes et les hommes de tout milieu ont en particulier été identifiées comme des secteurs clefs dans lesquels l’UE pourrait apporter son aide. 

Comme les interconnexions sont multiples, les approches sectorielles sont insuffisantes voire préjudiciables. Les sujets liés à la sécurité qui ont émergé des discussions MAJALAT devraient être abordés dans le cadre de programmes coordonnés et globaux. Alors que l’UE mobilise de plus en plus la combinaison humanitaire développement-paix dans ses politiques, décliner une approche intégrée dans la pratique reste un défi. Différentes approches des questions de sécurité entre les experts de la société civile et les institutions européennes continuent par ailleurs d’empêcher des discussions plus concrètes d’avoir lieu.

Tandis que les questions de sécurité d’Etat semblent dominer dans les relations entre l’UE et le sud de la Méditerranée, les représentants de la société civile plaident pour une conception élargie de la notion de sécurité, visant en premier lieu la cohésion sociale et la protection contre les violences étatiques.

Préoccupés par la hausse des violences et des violations de droits résultant des mesures de confinement, les participants issus de la société civile ont enjoint l’UE à davantage tenir compte dans son action des questions de droits, de genres et des conflits, afin de ne pas exacerber les inégalités et des causes profondes des violences.  

Donner la priorité aux droits économiques, sociaux et politiques des femmes améliorera l’accès aux services et développera le pouvoir d’agir. Dans ce contexte, le rôle des collectifs de la société civile est fondamental, ceux-ci s’engageant pour offrir des prestations dans les domaines dont les Etats se sont retirés. En tant qu’acteurs de première ligne, leur participation à l’élaboration des politiques de l’UE et à la mise en œuvre des questions de sécurité, au-delà de la consultation, est apparue comme une priorité majeure ; ce d’autant plus que le nouvel agenda pour la Méditerranée paru en février 2021 guidera les actions futures de l’UE.

  1. Etude de suivi : les droits numériques dans le sud de la Méditerranée

Le rapide déploiement des technologies numériques et le soutien à la surveillance répressive organisée par les Etats demeurent au cœur des préoccupations des participants à Majalat. Afin d’alimenter les discussions politiques futures entre la société civile, les pays partenaires et les institutions européennes, le consortium a commandé en mai 2021 un rapport sur le rôle de l’UE dans le soutien aux droits digitaux dans le sud de la Méditerranée. Le rapport a identifié les principales tendances et a mis l’accent sur la protection des données ainsi que sur la cybersurveillance.   

La révolution numérique touchant tous les pans de la vie, l’organisation de la protection des données personnelles est essentielle à la préservation de la vie privée, pierre angulaire des libertés fondamentales. Dans la région MENA, les pays disposant d’institutions et d’un corpus juridique plus forts ont été pionniers dans les lois sur l’intimité numérique, souvent encouragés par l’adoption de la RGPD par l’UE. Mais les règles générales restent fragiles car elles ne prévoient pas de garanties et de recours suffisamment forts contre les abus. Les lois et leur application ont en effet tendance à être laxistes à l’égard des entreprises, des organismes publics et des forces de sécurité. Et la majorité des gouvernements de la région semble d’abord se préoccuper du développement des opportunités dans les domaines du e-commerce, des télécoms et de la tech.

Il semble également y avoir une indifférence pour le droit humain qu’est la vie privée, les données étant considérées comme une ressource dont il faut tirer profit et la protection comme devant d’abord porter sur les actifs et les échanges commerciaux. Déployer la transformation numérique de l’économie avec des lois de protection des données faibles et sans se doter de stratégies et de compétences solides en matière de cybersécurité pourrait exposer les citoyens et les institutions à une surveillance accrue des gouvernements, à des attaques malveillantes ou à l’exploitation de données par des compagnies privées.  

Dans son nouvel agenda pour la Méditerranée paru en février 2021, l’Union européenne a inscrit aux rangs de ses priorités la désinformation, les cybermenaces et l’accompagnement de la transition numérique dans la région. Cette nouvelle politique présente la transformation numérique dans le sud de la Méditerranée comme un moyen d' « exploiter le potentiel économique de la région » en modernisant les relations commerciales et avec les investisseurs et en créant un hub de l'économie numérique compétitif et qui contribue à la relance de l'UE après la pandémie de Covid-19.  

Dans ce cadre, l’UE s'engage clairement à soutenir la règlementation et la gouvernance de la protection des données, ce qui répond à une préoccupation clé des militants des droits numériques et pourrait avoir une influence positive sur les débats portant sur la vie privée et le développement des compétences et la sécurité numériques des citoyens dans la région. Cependant il est peu probable que l’impact soit significatif si le niveau de réglementation de l'industrie technologique en Europe et dans la région demeure aussi anormalement bas. Et il sera difficile d'évaluer tant les politiques que la pratique en matière de protection des données dans la région, dans la mesure où les secteurs de la tech et de la cybersurveillance parviennent à maintenir un niveau d’opacité disproportionné grâce aux lois sur la confidentialité. Les partenariats public-privé pourraient contribuer à accroître le manque de transparence au bénéfice des grandes compagnies de la tech et des télécoms, qui ont un intérêt à faire tomber les barrières de la circulation des données.

Assurer la protection des données et de la vie privée implique que les personnes aient le contrôle sur les informations privées les concernant, qui sont collectées ou partagées. Soutenir la connaissance et l'innovation locale en matière de protection et de réglementation des données et de la vie privée pourrait avoir un impact positif sur les droits humains et accroître l'espace de la société civile.

Même si la RGPD est considérée comme la référence absolue, elle ne vaut que par la qualité de son application et de ses impacts. Il est fondamental que les mesures de protection des données inspirées par la RGPD, dans la région, prennent en considération les dynamiques locales et internationales en matière économique, politique et de conflits afin qu’elles ne contribuent pas à asseoir davantage les systèmes oppressifs.   

 

[1] La stratégie internationale de l’Union européenne en matière de politique étrangère et de sécurité (2016) : https://eeas.europa.eu/topics/eu-global-strategy/17304/global-strategy-european-unions-foreign-and-security-policy_en

[2]  Communication conjointe : un partenariat renouvelé avec le voisinage sud – un nouvel agenda pour la Méditerranée (2021) :  https://eeas.europa.eu/sites/default/files/joint_communication_renewed_partnership_southern_neighbourhood.pdf